Chez certains adultes, il est courant de
considérer qu’il existerait de « bonnes fessées », par opposition donc
à de « mauvaises fessées » (comme il y a les « bons » et
les « mauvais chasseurs » dans la célèbre vidéo des Inconnus[1])
– reste alors à placer la frontière entre ce que serait une « bonne »
et une « mauvaise » fessée. Doit-on se référer à l’intensité des
coups, à l’instrument utilisé pour son administration, aux circonstances… ?
Il est important
de rappeler qu’aujourd’hui, en France, deux enfants mourront suite aux mauvais
traitements de leurs parents – des bébés, pour beaucoup, dont les parents ne
supportent plus les pleurs et qui sont secoués avec une extrême brutalité. On
estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre d’enfants en danger en France
(difficile d’avoir des statistiques précises). Il n’est donc pas question
d’aborder ces sujets avec légèreté.
Notons
que la Suède, qui a fait passer une loi contre les violences corporelles sur
les mineurs en 1979, a fait chuter les chiffres de la mortalité infantile due
aux maltraitances parentales pour les réduire à une quasi nullité. Au moment où
elle a été proposée, 70% des Suédois étaient opposés à cette loi. Ils sont
aujourd’hui 92% à l’approuver.
En France, il était question de modifier
l’article 371-1 et d’y ajouter la partie en italique :
« L'autorité
parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt
de l'enfant. Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation
de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour
assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa
personne, et à l’exclusion de tout
traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences
corporelles. »
Le Conseil constitutionnel a censuré cette modification, pourtant adoptée
par le Parlement en décembre 2016, estimant qu’elle n’avait pas sa place dans
cette loi. Elle n’a donc pas été ajoutée. On peut le regretter car elle avait
le mérite de mettre un peu de corps dans cette succession d’abstractions
sujettes à toutes les interprétations possibles, avec les conséquences que l’on
vient de rappeler.
Chacun d’entre
nous peut s’interroger sur ce que ces termes impliquent pour soi. Qu’entend-on
par « traitement cruel, dégradant ou humiliant » et par
« violences corporelles » ? Une fois de plus, il est probable
que tout le monde ne soit pas d’accord sur l’étendue du terrain sémantique que
ces mots recouvrent. Une « petite fessée » peut-elle être qualifiée
de traitement cruel, dégradant ou
humiliant ou même de violence
corporelle ?
Si nous
sommes dans le doute, les neurosciences répondront pour nous : oui, dans
la mesure où n’importe quelle fessée, « petite » ou
« grande », occasionne des séquelles observables sur le cerveau et
bloque sa maturation[2].
Des
centaines d’études réalisées partout dans le monde (en Amérique du nord pour
l’essentiel), des milliers d’observations sur des milliers de cas menées par
des docteurs en biologie, spécialistes du cerveau, médecins, chercheurs
exerçant dans des universités réputées, sur des laps de temps suffisamment
importants pour que nous ayons le recul nécessaire à tirer des conclusions
scientifiques définitives et à établir des théories fiables, vont rigoureusement
toutes dans le même sens : les mauvais traitements, « petits »
ou « grands », physiques ou verbaux, occasionnent des perturbations
dans le développement cognitif[3] et
affectif de l’enfant.
Les études
menées sur 2461 enfants par Catherine Taylor, chercheur en santé publique à
l’université de Tulane aux États-Unis, établissent le lien entre la punition
corporelle de type « fessée » et de graves troubles comportementaux
chez les enfants de 3 à 5 ans :
- violence envers les
autres enfants,
- destruction d’objets,
- provocation,
- menaces,
- hurlements…
Un enfant
qui a subi des châtiments corporels dans son enfance, conclut Catherine Taylor,
a plus de risques de développer un type de comportement violent et antisocial à
l’âge adulte qu’un enfant qui a reçu une éducation sans violence.
D’autres
études, menées par Tracie O. Afifi, épidémiologiste à l’université du Manitoba
(Winnipeg, Canada), sur 34653 adultes, révèlent les conséquences néfastes
possibles[4] d’une
éducation violente sur la psychologie des adultes qui en ont été les victimes :
- anxiété,
- toxicomanie (dépendance
à l’alcool et aux drogues…),
- dépression,
- problèmes de jeu,
- idées suicidaires,
- troubles de la
personnalité.
[1] La Télé des
Inconnus, 1991.
[2] Pour aller plus loin, je vous renvoie à la lecture du
livre du Dr Catherine Gueguen, Pour une
enfance heureuse : Repenser l’éducation à la lumière des dernières
découvertes sur le cerveau, chez Pocket ; et à celle de l’ouvrage
d’Olivier Maurel, La Fessée :
Questions sur la violence éducative, publié chez La Plage.
[3] Relatif aux apprentissages.
[4] Attention : ces conséquences ne sont pas
automatiques, heureusement. Il s’agit de tendances observées. On estime que ces
risques sont augmentés de 7% chez les adultes qui ont été victimes de violence
(fessées, gifles) lorsqu’ils étaient enfants. L’inverse est vrai aussi :
un adulte alcoolique n’a pas nécessairement été victime de mauvais traitements,
d’autres facteurs sont à considérer, notamment des facteurs génétiques.